8 Thermidor

8 thermidor an II — 26 juillet 1794 (vieux style)

Voulland envoie une lettre à ses électeurs annonçant la réconciliation des Comités(1)Cf. Albert MATHIEZ, Girondins et Montagnards, Paris, Firmïn-Didot et Cie, 1930, p. 164.

Sommaire

Robespierre à la Convention

Non retranscrit in-extenso par la presse le lendemain, il ne subsiste plus du discours prononcé par Robespierre à la Convention qu’un brouillon chargé de ratures et de répétitions retrouvé par la commission chargée de l’examen des papiers des robespierristes. Son impression est décrétée le 30 thermidor an II à la demande de Bréard(2)cf. Ernest HAMEL, Histoire de Robespierre, t. III, p. 733 (note 1); ROBESPIERRE, Discours du 8 thermidor an II (note 9) ; Charles VELAY, Discours et rapports de Robespierre, Paris, 1908. Si le discours achevé a pu varier, le résumé qu’en donne dès le lendemain le Courrier républicain paraît conforme à sa version préparatoire(3)cf. G. WALTER, Maximilien de Robespierre, éd. de 1989, p. 457. On en propose la synthèse suivante :

S’inscrivant d’emblée en rupture avec l’unanimisme ambiant, Robespierre annonce qu’il entretiendra ses collègues des persécutions dont il est l’objet(4)cf. Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10, pp. 543-544, qui ne doivent êtres vues que comme une attaque dissimulée contre leur propre pouvoir(5)cf. Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10, p. 553. Pour être née des principes, la Révolution française se distingue radicalement des précédentes. C’est aussi la raison pour laquelle les coups les plus durs lui sont portés sous l’angle de la dissimulation — « Ils ne combattirent pas nos principes, ils les corrompirent ; (…) ils louèrent la République, et calomnièrent les républicains »(6)cf. Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10, p. 545.

Le poison de la calomnie

Un « système de terreur et de calomnies »(7)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 546, 549 s’est mis en place. « On veut détruire le gouvernement révolutionnaire (…) par deux routes différentes : ici, on calomnie ouvertement les institutions révolutionnaires ; là, on cherche à les rendre odieuses par des excès »(8)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 556-557. Pendant ce temps, à la Convention, « des représentants du peuple (…) s’efforçaient de persuader à leurs collègues qu’ils ne pouvaient trouver de salut que dans la perte des membres du Comité [de salut public] (…) Si nous réussissons, disaient les conjurés, il faudra contraster par une extrême indulgence avec l’état présent des choses »(9)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 563-564. Robespierre revient sur plusieurs précédents. Evoquant la propagande anglaise fréquemment relayée à la Convention par Barère(10)cf. Annie JOURDAN, Les discours de la terreur à l’époque révolutionnaire (1776–1798), in French Historical studies 2013 pp. 60-62, il rappelle à ses collègues conventionnels qu’eux-mêmes furent compris dans de semblables accusations : « Ils ont attaqué la Convention nationale en masse ; ce projet a échoué. Ils ont attaqué le Comité de salut public ; ce projet a échoué. Depuis quelque temps, (…) ils semblent ne prétendre qu’à accabler un seul homme »(11)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 547-548.

S’il s’épanche abondamment sur les tourments que lui procurent ces manœuvres désormais concentrées sur sa seule personne(12)cf. Œuvres complètes…, tome 10 :
« Comment pourrais-je ou raconter ou deviner toutes les espèces d’impostures qui ont été clandestinement insinuées soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable ? » (565 + note 2 : passage absent de la version Sorbonne)
« Tout s’est ligué contre moi et contre ceux qui avaient les mêmes principes » (566)
« Qui suis-je, moi qu’on accuse ? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la République (…). Un homme est calomnié dès qu’il me connaît. On pardonne à d’autres leurs forfaits ; on me fait un crime de mon zèle » (556)
, il détaille aussi leur vaste champ d’action — « On disait aux nobles : C’est lui seul qui vous a proscrits ; on disait en même temps aux patriotes : Il veut sauver les nobles ; on disait aux prêtres : C’est lui seul qui vous poursuit ; sans lui vous seriez paisibles et triomphants (…) ; on disait aux patriotes persécutés : C’est lui qui l’a ordonné ou qui ne veut pas l’empêcher. On me renvoyait toutes les plaintes dont je ne pouvais faire cesser les causes, en disant : Votre sort dépend de lui seul »(13)cf. Œuvres complètes…, tome 10, p. 558. « On s’est attaché particulièrement à prouver que le Tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang, créé par moi seul, et que je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien et même tous les fripons, car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres. »(14)cf. Œuvres complètes…, tome 10, p. 558 De même, son bref passage au Bureau de police générale a suffi à l’assimiler à toutes les actions du Comité de Sûreté générale et aux abus de l’ensemble des autorités constituées(15)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 565 — « J’avais tout fait, tout exigé, tout commandé »(16)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 559. L’oppression se serait également exercée à l’encontre de la représentation nationale : « Est-il vrai qu’on ait colporté des listes odieuses, où l’on désignait pour victimes un certain nombre de membres de la Convention, et qu’on prétendait être l’ouvrage du Comité de salut public, et ensuite le mien ? (…) Est-il vrai que l’imposture ait été répandue avec tant d’art et d’audace qu’un grand nombre de membres n’osaient plus habiter la nuit leur domicile ? »(17)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 548

Ces intrigues ont déjà engendré des tentatives pour le renverser(18)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 559-560 ; A. MATHIEZ, Les intrigues contre Robespierre au printemps 1794 — Truchon et Roch Marcandier in « Autour de Robespierre » Payot, 1957, pp. 190-192.

Répliques à la calomnie

Il renvoie les accusations de dictature à ses propagateurs : « Est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes, et porté la terreur dans toutes les conditions ? (…) Est-ce nous qui, oubliant les crimes de l’aristocratie et protégeant les traîtres, avons déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables, et rendre la Révolution redoutable au peuple même ? (…) Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes (…), avons promené le glaive sur la plus grande partie de la Convention nationale (…) ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. »(19)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 547
« Ils m’appellent tyran… Si je l’étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d’or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l’étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (…) me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais avec eux. »(20)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 554 « Dans quelles mains sont aujourd’hui les armées, les finances et l’administration intérieure de la République ? Dans celles de la coalition qui me poursuit. »(21)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 566

Laissant finalement dans l’ombre l’identité des véritables oppresseurs du peuple(22)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 559-560, Robespierre se concentre sur leur moralité et leurs agissements. Entrés « dans la Révolution à la suite de quelque personnage important », ils sont demeurés étrangers à toute notion de vertu(23)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 554. « Toujours en deçà ou delà de la vérité, [prêchant] tout à tour la perfide modération de l’aristocratie, et tantôt la fureur des faux démocrates », ils ont considéré « qu’il ne s’agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin »(24)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 574, et sont à rechercher parmi « les apôtres impurs de l’athéisme et de l’immoralité dont il est la base. »(25)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 560

La perte des principes – les lendemains paradoxaux de la Fête de l’Être Suprême

Le salut du régime était pourtant à portée de main après la victoire décisive remportée par la Convention avec son décret du 18 floréal. En libérant les populations prises entre la tyrannie athéiste et le despotisme sacerdotal, elle sauvait la République d’un écueil tragique et l’établissait sur des bases morales solides. Mais l’équilibre fragile — dont Robespierre voit l’accomplissement dans la Fête de l’Être Suprême — fut aussitôt compromis(26)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 560-561, 566. Au jour même de la célébration à Paris, les cris isolés de conventionnels avaient retenti contre leur président, donnant le départ du système de terreur et de calomnies désormais à l’œuvre(27)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 561-562. Ainsi fut exploitée l’Affaire Catherine Théot. « On ne présenta à l’attention publique qu’une farce mystique et un sujet inépuisable de sarcasmes indécents ou puérils », mais « une multitude de citoyens paisibles et même de patriotes ont été arrêtés (…) et les coupables conspirent encore en liberté »(28)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 562.

Depuis l’abandon de ces principes, on se borne à de vaines déclamations constamment démenties par les faits. Rien n’a été concrètement accompli pour asseoir la République(29)L’historienne Françoise Brunel présente au contraire le discours comme relançant les luttes de factions au détriment du travail sur les institutions civiles. Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 568; F. BRUNEL, 1794. Thermidor. La chute de Robespierre, pp. 86-87. « Il faut tous les efforts du génie pour ramener la République à un régime naturel et doux, qui seul peut entretenir l’abondance, et cet ouvrage n’est pas encore commencé. »(30)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 571
La perte des principes se constate parmi les conventionnels comme dans les plus hautes instances du pouvoir — « le gouvernement a reculé devant les factions, et elles trouvent des protecteurs parmi les dépositaires de l’autorité publique » (31)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 572.

Dérives dans les Comités

Les preuves concernant les fausses listes de proscription demeurent inexploitées au Comité de salut public(32)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 548. Jadis dénonciateurs des factions anti-patriotiques, les Comités tendent plutôt à devenir leurs protecteurs(33)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 547, 549 (note 1, passage non retenu du manuscrit), 564-565. Ces revirements — que Robespierre perçoit y compris à son encontre —(34)« Comme leur feinte amitié était naïve et caressante ! Tout à coup leurs visages se sont couverts des plus sombres nuages (…) il y a trois jours, ils étaient prêts à me dénoncer comme un Catilina ; aujourd’hui, ils me prêtent les vertus de Caton ». Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 565 nuisent à l’action politique. « On devient tout à coup souple et même flatteur ; on sème sourdement des insinuations dangereuses contre Paris (…) ; on érige en crime la sollicitude civique ; on ne renvoie point les déserteurs, les prisonniers ennemis, les contre-révolutionnaires de toute espèce qui se rassemblent à Paris, et on éloigne les canonniers, on désarme les citoyens ; on intrigue dans l’armée ; on cherche à s’emparer de tout : donc on conspire »(35)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 570.

Dirigé par une « armée de commis » avec à leur tête Amar et Jagot, lesquels surpassent tous leurs collègues en influence(36)Note annexe. Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 552, continuation de la note p. 551, le Comité de sûreté générale a laissé ses bureaux se peupler d’« anciens professeurs de royalisme »(37)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 557. Un passage raturé fait état de pressions exercées par le Comité sur Payan au cours de la contre-enquête sur l’affaire Catherine Théot(38)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 562 (note 3).
Grace à la confiance excessive dont jouit Cambon auprès du Comité de salut public(39)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 570-571, le Comité des Finances a instauré des mesures précarisant la fonction publique comme les fortunes modiques(40)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 549, 563. Un système « mesquin, prodigue, tracassier, dévorant »(41)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 568 qui ne profite qu’aux « riches créanciers » s’est mis en place en dehors de tout contrôle démocratique(42)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 570. Alors qu’il s’y était opposé, on attribua encore à Robespierre la paternité de cette prédation sur les rentes viagères(43)cf. Œuvres complètes…, tome 10, pp. 558-559.

Autant de manœuvres qui ont amené au retrait de Robespierre du Comité de Salut Public : « Voilà au moins six semaines que ma dictature est expirée, et que je n’ai aucune espèce d’influence sur le gouvernement. Le patriotisme a-t-il été plus protégé ? les factions plus timides, la patrie plus heureuse ? »(44)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 565 (+ note 2 : passage absent de la version Sorbonne)

Ultimes avertissements

Présentés comme un « testament redoutable aux oppresseurs du peuple », Robespierre lance à ses collègues conventionnels une série d’avertissements pour l’avenir(45)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 567, 574. Alors que les succès militaires sont narrés à la Convention « avec une légèreté académique », rien n’est fait pour consolider les victoires. On a au contraire « semé la division parmi les généraux (…); l’administration militaire s’enveloppe d’une autorité suspecte »(46)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 568. « Les tyrans (…) se retirent pour vous laisser en proie à vos dissensions intestines qu’ils allument eux-mêmes, et à une armée d’agents criminels que vous ne savez pas même apercevoir. »(47)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 573

Voyant son élimination prochaine comme quasi assurée, Robespierre entrevoit une issue fatale à l’expérience révolutionnaire(48)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 566.
A la Convention, « les traîtres, cachés jusqu’ici sous des dehors hypocrites, jetteront le masque ; les conspirateurs accuseront leurs accusateurs (…). Le peuple s’indignera ; on l’appellera une faction (…) ; enfin à force d’attentats on espère parvenir à des troubles dans lesquels les conjurés feront intervenir l’aristocratie et tous leurs complices pour égorger les patriotes et rétablir la tyrannie. »(49)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 571-572
Le « despotisme militaire » écrasera la République. « Nous livrons notre patrie à un siècle de calamités, et les malédictions du peuple s’attacheront à notre mémoire. »(50)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 573

Le retour aux principes comme solution

Robespierre laisse pourtant entrevoir une alternative à cet écueil fatal. Si l’idéal doit demeurer inchangé, l’énergie à lui consacrer demande une sérieuse réévaluation : « Ne nous y trompons pas : fonder une immense République sur les bases de la raison et de l’égalité (…) n’est pas une entreprise que la légèreté puisse consommer : c’est le chef-d’œuvre de la vertu et de la raison humaine. »(51)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 572

Malgré ses critiques, Robespierre souhaite conserver la forme actuelle du pouvoir : « Le gouvernement révolutionnaire a sauvé la patrie (…) ; ce serait mal conclure de croire qu’il faut le détruire »(52)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 570. « Qu’on soit bien convaincu que tous ceux qui sont chargés de la surveillance nationale, dégagés de tout esprit de parti, veulent fortement le triomphe du patriotisme et la punition des coupables : tout rentre dans l’ordre »(53)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 569. Il demeure persuadé de partager la Vertu avec la plupart de ses collègues de la Convention(54)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 554 — pour laquelle il se déclare animé d’« un respect dans bornes »(55)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 550 — ainsi qu’avec la majeure partie des membres des comités de Salut public(56)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 570 et de Sûreté générale(57)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 557. Voyant « le monde peuplé de dupes et de fripons », Robespierre perçoit comme très restreint le périmètre de ces derniers, seuls vrais coupables. « Le bon sens et la justice » suffiront à discerner les uns des autres(58)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 551-552.

Amplement justifiées par le passé, les lois révolutionnaires(59)cf. Œuvres complètes…, t. 10 : « Non, nous n’avons pas été trop sévères : j’en atteste la République, qui respire ! » (547); « Les conspirateurs nous ont précipités malgré nous dans des mesures violentes, que leurs crimes seuls ont rendu nécessaires » (571) le demeurent dans la situation présente. « La loi pénale doit nécessairement avoir quelque chose de vague, parce que, le caractère actuel des conspirateurs étant la dissimulation et l’hypocrisie, il faut que la justice puisse les saisir sous toutes les formes. (…) La garantie du patriotisme n’est donc pas dans la lenteur ni dans la faiblesse de la justice nationale, mais dans les principes et dans l’intégrité de ceux à qui elle est confiée »(60)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 569.
La loi du 22 prairial est même défendue dans son aspect le plus contesté à la Convention : « Si l’on proposait ici de prononcer une amnistie en faveur des députés perfides, et de mettre les crimes de tout représentant sous la sauvegarde d’un décret, la rougeur couvrirait le front de chacun de nous »(61)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 574.

L’affrontement inéluctable

Aucun accommodement n’est possible entre la raison et la tyrannie dans les sociétés humaines(62)cf. Œuvres complètes…, tome 10, pp. 545-546. « Si la raison ne règne pas, il faut que le crime et l’ambition règnent ; sans elle, la victoire n’est qu’un moyen d’ambition et un danger pour la liberté même, un prétexte fatal dont l’intrigue abuse pour endormir le patriotisme sur les bords du précipice. (…) Dans la carrière où nous sommes, s’arrêter avant le terme, c’est périr, et nous avons honteusement rétrogradé. »(63)cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 572-573
Refusant de fermer les yeux sur les crimes mais dans l’impossibilité d’en nommer leurs auteurs(64)Lacune justifiée, en fin de manuscrit, par un argument tactique : « Révèlerons-nous les abus cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres ? On nous dira que nous ébranlons les autorités constituées, que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. » Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 575, il se borne aux principes qui doivent diriger l’action : « Punir les traîtres », épurer le Comité de sûreté générale, et le subordonner à un Comité de salut public lui-même épuré(65)cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 576.

La lecture du discours aurait pris environ deux heures(66)cf. Paul SAINTE-CLAIRE DEVILLE, La Commune de l’an II. Vie et mort d’une assemblée révolutionnaire, Paris, Plon, 1946, p. 193 (note 2), d’après le Journal de Perlet antidaté du 9 thermidor, paru la veille.

Après Robespierre, David monte à la tribune pour proposer que la fête de Bara et Viala commençât à 9 heures du matin, ce qui est adopté(67)cf. Documents complémentaires au catalogue de l’œuvre de Louis David, note 1 117, Paris, Fondation Wildenstein, 1973, d’après M.-J. GUILLAUME, Procès verbaux du Comité d’Instruction Publique de la Convention nationale t. IV, pp. 856-862.

Robespierre relit son discours aux Jacobins

D’après le compte-rendu de La Correspondance politique de Paris et des départements paru le 10 thermidor, Robespierre s’impose au début de la séance contre Billaud-Varenne et Collot d’Herbois pour accéder le premier à la tribune(68)cf. Georges MICHON, Les séances des 8 et 9 thermidor aux Jacobins, AHRF 1924 p. 498, d’après La Correspondance politique de Paris et des départements, n° 90 du 10 thermidor an II.

Seul Javogues semble être parvenu à s’exprimer avant que Robespierre ne prenne la parole. Cette relecture de son discours est accueillie avec enthousiasme, particulièrement des tribunes qui manifestent de l’hostilité à l’encontre de la minorité qui ne l’approuve pas(69)L’intervention de Javogues ne figure pas dans la Correspondance politique mais dans le Conservateur décadaire des principes républicains et de la morale politique ou Recueil consacré au développement et à la propagation des vérités qui peuvent fortifier le régime social de la République démocratique française de fructidor an II, t. II, pp. 430 & suiv. Cf. G. MICHON, Les séances des 8 et 9 thermidor aux Jacobins, AHRF 1924 p. 499 (+ note 1) ; F. BRUNEL, 1794. Thermidor. La chute de Robespierre, p. 95.

*Pendant le 1er Empire, l’historien Lacretelle relate cet épisode avec un Roberspierre concluant ainsi son discours : — « Frères et amis, c’est mon testament de mort que vous venez d’entendre. Mes ennemis ou plutôt ceux de la République sont tellement puissants et tellement nombreux que je ne puis me flatter d’échapper longtemps à leurs coups (…). Quoi qu’il arrive, ma mémoire sera toujours honorée de vos cœurs vertueux. C’en est assez pour moi ; mais ce n’est pas assez pour la chose publique. Vous contenterez-vous de me plaindre ? Ne saurez-vous pas me défendre ou me venger ? (…) La Convention a voulu vous humilier tous aujourd’hui par son insolent décret. Héros du 31 mai, et toi surtout brave Henriot, avez-vous oublié le chemin de la Convention ? Ah ! loin d’avoir besoin d’exciter votre ardeur, je sens que mon devoir est de la contenir. (…) Sachez comme au 31 mai, séparer les traîtres des hommes faibles et lâches qui leur prêtent un imprudent appui… Si vous me secondez, les traîtres auront subi dans quelques jours le sort de leurs devanciers. Si vous m’abandonnez, vous verrez avec quel calme je sais boire la cigüe. » David — « Je la boirai avec toi ! » Couthon aurait ensuite donné une liste de 40 Montagnards à arrêter pour s’être opposés au discours de Roberspierre (Lacretelle nomme Tallien et Fréron), auxquels Dumas promet le Tribunal Révolutionnaire. Payan finit en désignant les Comités comme le centre de la conjuration à abattre(70)cf. Charles de LACRETELLE Histoire de France pendant le XVIIIe siècle, t. XII, ed. de 1825, pp. 84-87 [https://books.google.fr/books?id=sHgEjWqlUrYC&pg=PA1&lpg=#v=onepage&q&f=false].

La Correspondance Politique rend compte ensuite d’un Dumas parlant d’un gouvernement contre-révolutionnaire et menaçant Collot d’Herbois et Billaud-Varenne de subir le sort des récentes factions hébertistes et dantonistes. Tous deux tentent de répondre à ces accusations, mais sont tour à tour accablés par l’hostilité générale. Collot prit notamment la parole « pour faire entendre qu’il soupçonn[ait] les intentions de Robespierre ; que celui-ci aurait dû communiquer au gouvernement les faits qui sont dans son discours avant de les dénoncer au Peuple ; que ce dernier parti n’eût été plausible que dans le cas où les deux comités n’auraient point voulu corriger leur erreur ; qu’au reste Robespierre aurait retranché bien des choses de son discours, s’il n’avait cessé de venir au Comité de Salut Public depuis plus de quatre décades. Il a fini en demandant que le discours de Robespierre fût mis à l’ordre du jour, pour être dorénavant l’objet des discussions de la société. ».

Ils sont chassés au milieu des cris « à la guillotine ! », avant que Couthon ne reprenne la parole, demandant « la discussion non pas du discours de Robespierre, mais de la conspiration ; nous les verrons paraître à cette tribune, les conspirateurs ; nous les examinerons, nous verrons leur embarras, nous retiendrons leurs réponses vacillantes ; ils pâliront en présence du Peuple, ils seront convaincus et ils périront ».

Ceux qui ne partagent pas l’enthousiasme de la majorité sont à leur tour chassés et le compte rendu s’achève avec la prise de parole de Sijas(71)cf. G. MICHON, Les séances des 8 et 9 thermidor aux Jacobins, AHRF 1924 pp. 499-501, d’après La Correspondance politique de Paris, 10 thermidor an II.

  • Préparatifs de la fête de Bara & Viala (72)A. N., AFII 47 364 7 (rapport du comité révolutionnaire de la section de Brutus), 365 33 (section Popincourt), 366 50 (section des Marchés)

Théâtre

Louis Blanc mentionnera que l’on aurait joué, au Théâtre de la République, Epicharis et Néron, où se retrouvèrent des conjurés hostiles à Robespierre qui applaudirent avec transport plusieurs passages de la pièce(73)cf. M.-J. GUILLAUME, Procès verbaux du Comité d’Instruction Publique de la Convention nationale t. IV, Paris, Impr. Nat., 1901, p. 857 (note 3), d’après Louis BLANC, Histoire de la Révolution française, livre XII, chap. vi.

Réferences

Réferences
1 Cf. Albert MATHIEZ, Girondins et Montagnards, Paris, Firmïn-Didot et Cie, 1930, p. 164
2 cf. Ernest HAMEL, Histoire de Robespierre, t. III, p. 733 (note 1); ROBESPIERRE, Discours du 8 thermidor an II (note 9) ; Charles VELAY, Discours et rapports de Robespierre, Paris, 1908
3 cf. G. WALTER, Maximilien de Robespierre, éd. de 1989, p. 457
4 cf. Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10, pp. 543-544
5 cf. Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10, p. 553
6 cf. Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10, p. 545
7 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 546, 549
8 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 556-557
9 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 563-564
10 cf. Annie JOURDAN, Les discours de la terreur à l’époque révolutionnaire (1776–1798), in French Historical studies 2013 pp. 60-62
11 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 547-548
12 cf. Œuvres complètes…, tome 10 :
« Comment pourrais-je ou raconter ou deviner toutes les espèces d’impostures qui ont été clandestinement insinuées soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable ? » (565 + note 2 : passage absent de la version Sorbonne)
« Tout s’est ligué contre moi et contre ceux qui avaient les mêmes principes » (566)
« Qui suis-je, moi qu’on accuse ? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la République (…). Un homme est calomnié dès qu’il me connaît. On pardonne à d’autres leurs forfaits ; on me fait un crime de mon zèle » (556)
13 cf. Œuvres complètes…, tome 10, p. 558
14 cf. Œuvres complètes…, tome 10, p. 558
15 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 565
16 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 559
17 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 548
18 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 559-560 ; A. MATHIEZ, Les intrigues contre Robespierre au printemps 1794 — Truchon et Roch Marcandier in « Autour de Robespierre » Payot, 1957, pp. 190-192
19 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 547
20 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 554
21, 48 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 566
22 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 559-560
23, 54 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 554
24, 61 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 574
25 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 560
26 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 560-561, 566
27 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 561-562
28 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 562
29 L’historienne Françoise Brunel présente au contraire le discours comme relançant les luttes de factions au détriment du travail sur les institutions civiles. Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 568; F. BRUNEL, 1794. Thermidor. La chute de Robespierre, pp. 86-87
30 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 571
31 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 572
32 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 548
33 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 547, 549 (note 1, passage non retenu du manuscrit), 564-565
34 « Comme leur feinte amitié était naïve et caressante ! Tout à coup leurs visages se sont couverts des plus sombres nuages (…) il y a trois jours, ils étaient prêts à me dénoncer comme un Catilina ; aujourd’hui, ils me prêtent les vertus de Caton ». Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 565
35, 42, 52, 56 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 570
36 Note annexe. Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 552, continuation de la note p. 551
37, 57 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 557
38 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 562 (note 3)
39 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 570-571
40 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 549, 563
41 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 568
43 cf. Œuvres complètes…, tome 10, pp. 558-559
44 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 565 (+ note 2 : passage absent de la version Sorbonne)
45 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 567, 574
46 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 568
47, 50 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 573
49 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 571-572
51 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 572
53 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 569
55 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 550
58 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 551-552
59 cf. Œuvres complètes…, t. 10 : « Non, nous n’avons pas été trop sévères : j’en atteste la République, qui respire ! » (547); « Les conspirateurs nous ont précipités malgré nous dans des mesures violentes, que leurs crimes seuls ont rendu nécessaires » (571)
60 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 569
62 cf. Œuvres complètes…, tome 10, pp. 545-546
63 cf. Œuvres complètes…, t. 10, pp. 572-573
64 Lacune justifiée, en fin de manuscrit, par un argument tactique : « Révèlerons-nous les abus cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres ? On nous dira que nous ébranlons les autorités constituées, que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. » Cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 575
65 cf. Œuvres complètes…, t. 10, p. 576
66 cf. Paul SAINTE-CLAIRE DEVILLE, La Commune de l’an II. Vie et mort d’une assemblée révolutionnaire, Paris, Plon, 1946, p. 193 (note 2), d’après le Journal de Perlet antidaté du 9 thermidor, paru la veille
67 cf. Documents complémentaires au catalogue de l’œuvre de Louis David, note 1 117, Paris, Fondation Wildenstein, 1973, d’après M.-J. GUILLAUME, Procès verbaux du Comité d’Instruction Publique de la Convention nationale t. IV, pp. 856-862
68 cf. Georges MICHON, Les séances des 8 et 9 thermidor aux Jacobins, AHRF 1924 p. 498, d’après La Correspondance politique de Paris et des départements, n° 90 du 10 thermidor an II
69 L’intervention de Javogues ne figure pas dans la Correspondance politique mais dans le Conservateur décadaire des principes républicains et de la morale politique ou Recueil consacré au développement et à la propagation des vérités qui peuvent fortifier le régime social de la République démocratique française de fructidor an II, t. II, pp. 430 & suiv. Cf. G. MICHON, Les séances des 8 et 9 thermidor aux Jacobins, AHRF 1924 p. 499 (+ note 1) ; F. BRUNEL, 1794. Thermidor. La chute de Robespierre, p. 95
70 cf. Charles de LACRETELLE Histoire de France pendant le XVIIIe siècle, t. XII, ed. de 1825, pp. 84-87 [https://books.google.fr/books?id=sHgEjWqlUrYC&pg=PA1&lpg=#v=onepage&q&f=false]
71 cf. G. MICHON, Les séances des 8 et 9 thermidor aux Jacobins, AHRF 1924 pp. 499-501, d’après La Correspondance politique de Paris, 10 thermidor an II
72 A. N., AFII 47 364 7 (rapport du comité révolutionnaire de la section de Brutus), 365 33 (section Popincourt), 366 50 (section des Marchés)
73 cf. M.-J. GUILLAUME, Procès verbaux du Comité d’Instruction Publique de la Convention nationale t. IV, Paris, Impr. Nat., 1901, p. 857 (note 3), d’après Louis BLANC, Histoire de la Révolution française, livre XII, chap. vi
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2 réflexions au sujet de « 8 Thermidor »

  1. fermon

    CAMBON à ne pas oublier. Premier opposant à Robespierre , il se repentira à distance du 9 Thermidor de la chute de Robespierre.
    Ci-dessous : extrait du site de la cour des comptes vu juin 2019
    le 8 thermidor de l’an II, Robespierre attaque Cambon et certains conventionnels qu’il qualifie de fripons sans apporter aucune preuve. Cambon, le premier, bondit à la tribune et se dresse contre lui. Il s’écrie : « Un seul paralyse la volonté de la Convention et c’est celui qui vient de parler, c’est Robespierre ! »
    Cambon griffonne sur un journal envoyé le soir même à son père : « Demain, de Robespierre ou de moi, l’un des deux sera mort »

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  2. Jean-Baptiste

    Merci pour votre commentaire.
    Cambon ne sera pas oublié. J’espère pouvoir publier dans des délais raisonnables une page à son sujet suffisamment complète.

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