Emmanuel-Joseph Sieyès
Age : Né à Fréjus, 46 ans en thermidor
Adresse : 273, rue Saint Honoré
Profession : Ecclésiastique
Fonction(s) : Elu député de la Sarthe à la Convention le 8 septembre 1792. Membre du Comité d’Instruction publique puis du Comité de salut public en mars 1795.
Sommaire
Origine et parcours de Sieyès
- Portrait : De taille moyenne, Sieyès était maigre et pâle, d’apparence maladive. Il avait un visage allongé et une voix faible qui en faisait un piètre orateur(1)cf. Bernard GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, p. 153.
Issu d’un famille de fonctionnaires provinciaux, Sieyès embrassa la carrière ecclésiastique. Il devint chanoine de l’évêché de Chartres en 1780, puis membre de l’Assemblée provinciale d’Orléans et de la chambre du Clergé de France en 1787. Ayant intégré la Franc-Maçonnerie (loge des Neuf-soeurs) il joua un rôle déterminant au moment de l’élection des Etats Généraux, avec son essai célèbre « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? ».
Ecarté par le Clergé, il est élu par le Tiers-Etat de Paris, mais son influence déclina dès 1790. Le département de la Sarthe l’élut pourtant à la Convention le 8 septembre 1792(2)cf. Bernard GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, pp. 151-153 ; A. ROBERT, E. BOURLOTON & G. COUGNY, Dictionnaire des parlementaires français (…) de 1789 à 1889 t. V, p. 317.
Sieyès à la Convention jusqu’à la fin de la Terreur
Tout en donnant des gages dans le sens de l’orientation politique générale (il vota la mort du roi), il demeura très en retrait. Il fut absent de la Convention en avril 1793 quand fut décidée l’arrestation de Marat, et ne prit la parole qu’à l’occasion de sa renonciation à la prêtrise le 20 brumaire an II (10 novembre 1793)(3)cf. A. ROBERT, E. BOURLOTON & G. COUGNY, Dictionnaire des parlementaires français (…) de 1789 à 1889 t. V, p. 317 ; Archives Parlementaires, t. LXXVIII, pp. 716-717 ; Michel BIARD, Le silence, sagesse ou lâcheté ? in M. BIARD, P. BOURDIN, H. LEUWERS & A. TOURRET (dir.), « Vertu et politique — Les pratiques des législateurs », PUR, 2015, p. 126.
Il participa toutefois aux travaux du Comité d’Instruction publique. Robespierre aurait dénoncé son rôle caché dans les projets présentés par Lakanal : « Cet ouvrage n’est pas de celui qui vous le présente ; je me méfie beaucoup de son véritable auteur »(4)cf. A. ROBERT, E. BOURLOTON & G. COUGNY, Dictionnaire des parlementaires français (…) de 1789 à 1889 t. V, p. 317.
Redouté pour son influence ?
Plus offensif encore, Robespierre aurait qualifié Sieyès de « taupe de la révolution ». Mais ces propos n’apparaissent tels quels que dans l’Histoire des Girondins de Lamartine, lequel semble s’être inspiré de propos rapportés par Barère dans ses Mémoires :
- « Ce Sieyès est la taupe de la révolution (…). L’abbé Sieyès ne se montre pas, mais il ne cesse d’agir dans les souterrains de l’Assemblée. Il dirige et brouille tout. Il soulève les terres et disparaît. Il crée les factions, les met en mouvement, les pousse les unes contre les autres, et se tient à l’écart pour en profiter ensuite, si les circonstances le servent. » Lamartine, Histoire des Girondins(5)cf. Oeuvres complètes de Lamartine, t. XI, 1861, p. 360.
- « Un jour, au commencement de 1794, Robespierre vint fort tard au Comité de salut public avec Saint-Just, et il dénonça Sieyès comme l’agent secret des divisions qui avaient troublé la Convention et qui, fomentées avec art, la troubleraient encore ; ce fut dans cette circonstance qu’il l’appela la taupe de la Révolution, soulevant la terre et disparaissant. Robespierre ne pouvant donner pour preuve que son instinct accusateur, le comité passa à l’ordre du jour, et Sieyès fut sauvé de l’attaque la plus dangereuse. » Barère, Mémoires(6)cf. Mémoires de B. Barère, membre de la Constituante, de la Convention, du Comité de salut public et de la Chambre des représentants, t. IV, 1844, p. 430.
Sieyes d’après d’Antraigues : éminence grise du Gouvernement révolutionnaire
Les bulletins rédigés par d’Antraigues aux puissances étrangères font de Sieyès « le plus méchant homme qui ayt jamais existé et sûrement l’homme le plus fécond en ressources et le plus féroce qui existe peut-être en France ». Il est décrit comme ayant joué le rôle d’éminence grise auprès du Comité de salut public, siégeant à ses réunions les plus importantes. Fin 1793 il aurait déclenché, en fédérant Pache, Chaumette, Bourdon et Hébert, le mouvement déchristianisateur(7)cf. Albert MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), p. 40.
Dans le 15e bulletin rédigé de sa main, d’Antraigues place Sieyès, ainsi que Pache, au centre d’une négociation entre dantonistes et hébertistes. Dans son 20e bulletin il réapparaît dans une réunion secrète aux Invalides, ainsi que Pache, Hanriot et Carrier, où Robespierre aurait fait une allocution(8)cf. A. MATHIEZ, Les correspondants parisiens de d’Antraigues, Annales révolutionnaires 1918, p. 386.
Début 1794, il insuffle au Comité de salut public le courage de se débarrasser des Hébertistes, pour les empêcher de restaurer Louis XVII et s’entendre avec Pitt. C’est également lui qui inspira l’arrestation de Danton, nouveau favori de Pitt pour entamer une phase de négociation entre la France et la Grande-Bretagne(9)cf. A. MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), pp. 40-41.
Dans deux lettres datées du 19 mars et du 10 avril 1794 (17 germinal an II), l’un des correspondants de d’Antraigues affirme que Robespierre et « Sieys » se rencontrent à Choisy, probablement avec la complicité du maire Vaugeois(10)cf. A. MATHIEZ, Les correspondants parisiens de d’Antraigues, Annales révolutionnaires 1918, pp. 382, 385.
Après deux mois de mésentente entre l’Incorruptible et Saint-Just, il fallut la médiation de Sieyès pour opérer un rapprochement entre les deux hommes, début mai 1794, qui ne réussit fort provisoirement qu’avec le sacrifice de Pache. A la mi-mai, les dissensions repartent entre les deux hommes, que seul Sieyès parvient encore à rapprocher le mois suivant, au retour de Saint-Just de l’armée du Nord, mais seulement en façade cette fois(11)cf. A. MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), pp. 43-44.
Dans un bulletin relatant les événements survenus entre le 12 et le 20 juillet 1794, il est fait état de la situation précaire de Robespierre au sein du gouvernement, qui aurait « Saint-Just et tout son parti », ainsi qu’une quinzaine de députés, persuadés de perdre leur tête s’il triomphait, comme ennemis révolus. Les agissements de l’Incorruptible (notamment la rivalité qu’il entretint avec Fouché aux Jacobins) semblent avoir déconcertés nombre de ses partisans, tout comme le gouvernement dans son ensemble paraît avoir effrayé toute la population avec ses projets populicides. Tôt ou tard il sera renversé, plutôt par une probable réunion de ces deux factions que par une insurrection populaire(12)cf. Alfred RUFER, En complément des Dropmore Papers, AHRF 1958 (n°4), p. 18.
Dans ce contexte, Saint-Just se serait rapproché in extremis de Sieyès, lequel aurait proposé au Comité de Salut Public d’aller à marche accélérée jusqu’au bout des mesures révolutionnaires, à savoir généralisation de l’effort de guerre, exécution de tous les ordres anciennement privilégiés mais aussi l’ensemble des classes instruites, y compris des bourgeois à l’origine favorable à la Révolution et achèvement du transfert des propriétés(13)cf. A. RUFER, En complément des Dropmore Papers, AHRF 1958 (n°4), p. 19.
Ces allégations, recoupées par nulle autre source ou témoignage(14)cf. A. MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), p. 42, sont en contradiction avec l’apparente passivité politique dont fit preuve l’ancien abbé. Il fournit beaucoup plus de détails que ses correspondants ne le lui en fournissent, ce qui jette le doute sur leur fiabilité(15)cf. A. MATHIEZ, Les correspondants parisiens de d’Antraigues, Annales révolutionnaires 1918, p. 386. Une notice publiée en 1795 et, semble-t-il, largement rédigée par Sieyès lui-même(16)cf. Erwann SOMMERER, La Notice sur la vie de Sieyès d’OElsner (1795) : autopromotion inavouée et évolution post-thermidorienne, in O. FERRET & A.-M. MERCIER (dir.), « Biographie & politique », P.U.L., Lyon, 2014, pp. 170-173 réfute catégoriquement l’idée répandue depuis l’étranger selon laquelle, demeurant constamment « derrière le rideau » du pouvoir, celui-ci aurait compté parmi les « faiseurs de Robespierre »(17)cf. Notice sur la vie de Sieyès, membre de la première Assemblée nationale et de la Convention, écrite à Paris, en messidor, deuxième année de l’ère républicaine…, Paris, Maradan, an III, pp. 62, 64-65.
Epilogue ?
Une anecdote invérifiable avança qu’en 1836, alors qu’il était âgé de 88 ans, Sieyès aurait confié à son domestique « Si M. de Robespierre vient, dites que je n’y suis pas »(18)cf. Michel BIARD, Le silence, sagesse ou lâcheté ? in M. BIARD, P. BOURDIN, H. LEUWERS & A. TOURRET (dir.), « Vertu et politique — Les pratiques des législateurs », PUR, 2015, p. 126, d’après Auguste KUSCINSKI, Dictionnaire des Conventionnels, ed. du Vexin Français, 1973, p. 568, A. SOBOUL, J.-R. SURATEAU, F. GENDRON, Dictionnaire historique de la Révolution Française, PUF, 1989, p. 986.
Retour politique de Sieyès après le 9 Thermidor
Sieyès se fait nommer président de la commission des 21, qui traduisit en jugement Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Vadier.
Entré en mars 1795 au Comité de salut public, il reprend pour la première fois la parole après un an et demi de silence, le 18 ventôse an III sur la question des Girondins mis hors-la-loi(19)cf. Réimpression de l’ancien Moniteur, t. XXIII, Plon, 1862, p. 639 et suiv. ; Michel BIARD, Le silence, sagesse ou lâcheté ? in M. BIARD, P. BOURDIN, H. LEUWERS & A. TOURRET (dir.), « Vertu et politique — Les pratiques des législateurs », PUR, 2015, p. 126, dont la réintégration devait ouvrir la voie à une délégitimation de la Constitution de 1793(20)cf. B. BACZKO, Comment sortir de la Terreur, Gallimard, 1989, pp. 310-311. Sieyès joue également un rôle de premier plan dans le domaine de la diplomatie, aux côtés de Reubell et Merlin de Douai.
Le 1er germinal an III, il présente au nom des comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation une loi de « grande police » dans un contexte de répression du mouvement insurrectionnel(21)cf. Bernard GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, p. 152 ; Annie JOURDAN, La Convention ou l’empire des lois — Le Comité de législation et la commission de classification des lois in La Révolution française — Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 2012 p. 11.
Critiquant le caractère absolu que l’on a prêté à la notion de souveraineté du peuple, Sieyès s’investit dans la rédaction de la Constitution de l’an III, mais est mis en échec par Daunou et La Révellière(22)cf. B. GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, p. 152.
Réferences
↑1 | cf. Bernard GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, p. 153 |
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↑2 | cf. Bernard GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, pp. 151-153 ; A. ROBERT, E. BOURLOTON & G. COUGNY, Dictionnaire des parlementaires français (…) de 1789 à 1889 t. V, p. 317 |
↑3 | cf. A. ROBERT, E. BOURLOTON & G. COUGNY, Dictionnaire des parlementaires français (…) de 1789 à 1889 t. V, p. 317 ; Archives Parlementaires, t. LXXVIII, pp. 716-717 ; Michel BIARD, Le silence, sagesse ou lâcheté ? in M. BIARD, P. BOURDIN, H. LEUWERS & A. TOURRET (dir.), « Vertu et politique — Les pratiques des législateurs », PUR, 2015, p. 126 |
↑4 | cf. A. ROBERT, E. BOURLOTON & G. COUGNY, Dictionnaire des parlementaires français (…) de 1789 à 1889 t. V, p. 317 |
↑5 | cf. Oeuvres complètes de Lamartine, t. XI, 1861, p. 360 |
↑6 | cf. Mémoires de B. Barère, membre de la Constituante, de la Convention, du Comité de salut public et de la Chambre des représentants, t. IV, 1844, p. 430 |
↑7 | cf. Albert MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), p. 40 |
↑8, ↑15 | cf. A. MATHIEZ, Les correspondants parisiens de d’Antraigues, Annales révolutionnaires 1918, p. 386 |
↑9 | cf. A. MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), pp. 40-41 |
↑10 | cf. A. MATHIEZ, Les correspondants parisiens de d’Antraigues, Annales révolutionnaires 1918, pp. 382, 385 |
↑11 | cf. A. MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), pp. 43-44 |
↑12 | cf. Alfred RUFER, En complément des Dropmore Papers, AHRF 1958 (n°4), p. 18 |
↑13 | cf. A. RUFER, En complément des Dropmore Papers, AHRF 1958 (n°4), p. 19 |
↑14 | cf. A. MATHIEZ, L’Histoire secrète du Comité de Salut public in Revue des Questions Historiques 1914 (t. LI), p. 42 |
↑16 | cf. Erwann SOMMERER, La Notice sur la vie de Sieyès d’OElsner (1795) : autopromotion inavouée et évolution post-thermidorienne, in O. FERRET & A.-M. MERCIER (dir.), « Biographie & politique », P.U.L., Lyon, 2014, pp. 170-173 |
↑17 | cf. Notice sur la vie de Sieyès, membre de la première Assemblée nationale et de la Convention, écrite à Paris, en messidor, deuxième année de l’ère républicaine…, Paris, Maradan, an III, pp. 62, 64-65 |
↑18 | cf. Michel BIARD, Le silence, sagesse ou lâcheté ? in M. BIARD, P. BOURDIN, H. LEUWERS & A. TOURRET (dir.), « Vertu et politique — Les pratiques des législateurs », PUR, 2015, p. 126, d’après Auguste KUSCINSKI, Dictionnaire des Conventionnels, ed. du Vexin Français, 1973, p. 568, A. SOBOUL, J.-R. SURATEAU, F. GENDRON, Dictionnaire historique de la Révolution Française, PUF, 1989, p. 986 |
↑19 | cf. Réimpression de l’ancien Moniteur, t. XXIII, Plon, 1862, p. 639 et suiv. ; Michel BIARD, Le silence, sagesse ou lâcheté ? in M. BIARD, P. BOURDIN, H. LEUWERS & A. TOURRET (dir.), « Vertu et politique — Les pratiques des législateurs », PUR, 2015, p. 126 |
↑20 | cf. B. BACZKO, Comment sortir de la Terreur, Gallimard, 1989, pp. 310-311 |
↑21 | cf. Bernard GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, p. 152 ; Annie JOURDAN, La Convention ou l’empire des lois — Le Comité de législation et la commission de classification des lois in La Révolution française — Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 2012 p. 11 |
↑22 | cf. B. GAINOT, Dictionnaire des membres du Comité de salut public, Taillandier, 1990, p. 152 |